Volume publicitaire : Net ou brut ? That is the question…
Quelle est la valeur de la publicité ? Et quel est le volume réel que les entreprises et marques suisses consacrent à la publicité ? Deux statistiques tentent de refléter la réalité – avec deux approches différentes. La statistique publicitaire brute de Media Focus compte les annonces, les spots et les affiches, évaluant leur valeur à partir des tarifs officiels. La Fondation Statistique Suisse en Publicité opte pour une autre démarche : demander aux prestataires médias de communiquer leurs recettes publicitaires.
Bref retour en arrière : les campagnes pour et contre l’initiative dite de « mise en œuvre » pour l’expulsion des étrangers criminels (dont les votations ont eu lieu le 28 février) ont coûté globalement CHF 4,2 millions, 34% de ce que l’on appelle la pression publicitaire revenant à la campagne pour le « oui », 66% au « non ». Des chiffres dépassés par la valeur de la publicité diffusée pour le projet du second tunnel routier du Gothard, la pression publicitaire se chiffrant ici à CHF 5,7 millions de francs, avec 46% de « pour » et 54% de « contre ».
Ces données proviennent de la statistique mensuelle de pression publicitaire publiée par Media Focus (MF), coentreprise germano-américaine des instituts d’études de marché GfK Switzerland et The Nielsen Company Switzerland. Basée à Zurich, cette dernière collecte depuis 1989 des données sur la « présence communicative des marques ». Le champ d’analyse est très large puisque l’on retrouve autant des produits physiques, des marques de sociétés, des services, des groupes sociaux ou, également, des campagnes politiques.
Mais comment ces chiffres sont-ils collectés, dans quelle mesure sont-ils fiables – et que peut-on en tirer ?
Media Focus : seule la valeur de la publicité est prise en compte, pas les dépenses
Dissipons d’abord un éventuel malentendu : la statistique publicitaire MF ne précise pas ce que la publicité a coûté ; elle indique la valeur brute/brute de l’achat d’espace pour des annonces, vidéos, affiches ou publicités sur écran diffusées. Ce chiffre se base par conséquent sur le tarif officiel d’une publication ou diffusion individuelle dans les médias analysés. Autrement dit, les coûts de production et de matériel ne sont pas compris, et les remises (sur volume ou combinaisons) ou tarifs promotionnels, les espaces gratuits, les primes sur le CA annuel ou la commission de conseiller ne sont pas déduits (voir encadré). D’ailleurs cette statistique est appelée « statistique publicitaire brute », ce qui la distingue de la statistique publicitaire nette de la Fondation Statistique Suisse en Publicité à laquelle nous reviendrons plus tard.
Comme l’explique son CEO Jens Windel, la statistique MF est orientée vers le produit. Pour une campagne Coca-Cola Zero par exemple, elle enregistre dans le détail, pour chaque média (intensité), l’ampleur ou la durée des supports publicitaires utilisés, le total des diffusions publicitaires (fréquence) et la valeur publicitaire brute en francs suisses (pression publicitaire). Et ce pour près de 150 000 produits et marques ! Mais ce n’est pas tout : MF fait aussi une distinction entre la publicité diffusée par le fabricant même ou par ses distributeurs.
Mais quelle est la méthode employée par MF pour collecter ces données ? La statistique de pression publicitaire regroupe plus de 1 500 supports publicitaires : presse, télévision, radio, affichage, Internet (écrans et recherche), cinéma, télétexte et écrans publicitaires (Digital Out-of-Home, DOoH). Et M. Windel de préciser : « Nous enregistrons la majorité des diffusions publicitaires sur la base de la perception visuelle. »
Feuilleter, écouter, regarder
Effectivement, plus de 30 collaborateurs feuillettent chaque jour près de 400 journaux et magazines de presse, mesurant la taille des annonces commerciales (à partir de 1/8e de page) et calculant leur valeur. Les annonces sous rubriques ne sont pas prises en compte.
Pour la radio et la télévision, MF enregistre les programmes concernés, un logiciel identifiant le début et la fin des spots ainsi que leur contenu, dans la mesure où ce dernier est déjà connu. Les nouveaux spots sont sélectionnés puis visualisés et codés par les collaborateurs de MF.
Pour l’affichage, les écrans publicitaires, le cinéma et le télétexte, les prestataires fournissent à MF les informations requises (emplacement, sujet, durée d’affichage ou de diffusion). MF visualise les sujets. Dans le secteur en ligne, les informations sur la publicité diffusée sont également fournies par les prestataires, même si M. Windel précise que tous ne se montrent pas coopératifs. De plus le secteur en ligne fournit des informations exprimées en valeur brute facturée (voir encadré), donc sans espaces gratuits (voir encadré). Strictement parlant, ces valeurs ne peuvent donc être comparées aux données d’autres médias. Par contre, MF s’occupe elle-même, depuis le second semestre 2013, de la publicité sur les moteurs de recherche, utilisant pour cela des logiciels analysant les sites Internet en question (technologie de crawling). Faute d’historique, ces données n’entrent toutefois pas encore en ligne de compte dans la « Tendance du marché publicitaire » publiée chaque mois.
Publicité directe, médias sociaux, publicité dans les stades, sponsoring sportif et événementiel ne sont pas pris en compte par la statistique publicitaire.
Reste à savoir dans quelle mesure la statistique de pression publicitaire de MF couvre chaque catégorie de médias. Selon M. Windel, l’audience de la presse est comprise à 90 %, toutes les chaînes télévisées étant retenues à partir d’une part de marché de 1 %. Et d’ajouter : « Chaque mois, nous signalons aux clients les éventuels changements. »
La statistique publicitaire nette s’appuie sur l’auto-déclaration
Rappelons-nous la conférence de presse de fin février, durant laquelle la conseillère fédérale Doris Leuthard avait donné le feu vert à la coentreprise réunissant SSR, Swisscom et Ringier, s’appuyant pour cela sur des chiffres fournis par le marché publicitaire : elle déclara alors qu’en 2014, les recettes publicitaires s’étaient chiffrées à CHF 4,2 milliards, dont 772 millions revenant au secteur télévisé. « La SSR en a absorbé près de la moitié, les chaînes suisses privées 10 % et les fenêtres publicitaires privées 40 % ». Quant aux recettes générées par la publicité sur Internet, elles auraient été, toujours selon Mme Leuthard, de quelque CHF 720 millions.
Les chiffres qu’elle a utilisés ici n’ont pas été fournis par MF mais ont été empruntés à la statistique publicitaire nette (SPN) de la Fondation Statistique Suisse en Publicité (Zurich) précédemment évoquée. Contrairement à la statistique MF, cette étude se base sur les auto-déclarations des prestataires médias. Depuis 1981, elle indique une fois par an (voir article ci-après) les recettes publicitaires nettes (avant déduction de la commission de conseiller et de la prime annuelle sur CA) en fonction des types de médias (voir encadré). Bien entendu les ventes nettes associées à des chaînes ou des titres particuliers ne sont pas disponibles, encore moins les investissements nets en fonction des annonceurs ou du produit. « La pertinence de la statistique est étroitement liée à l’absence de résultats individuels » déclare Rolf Blum qui travaille à la REMP et est responsable (jusqu’à l’été 2016) de la SPN. Son successeur Marc Sele s’est déjà mis au travail.
Pour obtenir les chiffres requis, M. Blum consulte chaque année les prestataires de diverses catégories (presse, télévision, radio, publicité extérieure, cinéma, télétexte, écrans publicitaires, publicité directe, répertoires d’adresses et Internet). « Jusqu’à présent, nous avons eu du souci avec le secteur en ligne », déclare M. Blum. « De nombreux exploitants de sites Internet concernés par la publicité ne nous fournissaient pas d’informations. » Pour cette raison, les chiffres « Internet » de la SPN reprenaient, à titre indicatif, les valeurs brutes respectives de MF. Mais les choses ont changé cette année : « L’enquête 2015 ayant obtenu un meilleur écho auprès des sites Internet, nous avons pu, pour la première fois, procéder à des estimations relativement fiables et illustrant une partie clairement définie du marché en ligne (voir tableau) – mais, bien évidemment, sans la publicité diffusée sur les moteurs de recherche. »
La fréquence de parution suffit au marché
Dans ses publications annuelles, la SPN indique le nombre de titres de presse, de chaînes TV et de radios ayant fourni des chiffres et communique également le taux de couverture – qui change fortement d’une année à l’autre. Dans la presse quotidienne et hebdomadaire par exemple, il a varié, depuis 2009, entre 69% (2012) et 76% (2010), l’écart allant même de 59% (2009) à 73% (2011) pour la presse spécialisée. Mais M. Blum relativise ces données : « Ces chiffres ne précisent pas si ce sont les principaux prestataires d’un type de média qui fournissent leurs données ou les prestataires secondaires. » Mais de façon générale, les médias importants sont « très fiables » – sauf dans le domaine de la presse spécialisée, de la radio, des promotions et en ligne. « Pour ce média, nous devons fournir chaque fois des estimations ou des évaluations », précise M. Blum.
Actuellement le sponsoring sportif et événementiel, la publicité dans les stades, les médias sociaux, la publicité dans les moteurs de recherche et une partie de la publicité directe ne sont pas compris dans la SPN.
Une publication mensuelle de la SPN serait-elle envisageable ? Pas pour M. Blum. « Il y a une dizaine d’années, la REMP avait lancé une initiative de ce genre – mais le marché n’avait pas suivi. Même pour une statistique semestrielle, les besoins ne sont pas assez importants. »
Les deux statistiques ont un point commun : elles ne sont jamais définitives, des changements pouvant se produire même après la publication des chiffres. Par exemple, quand il apparaît que les informations fournies par des prestataires médias sont incomplètes, quand de nouvelles méthodes de calcul sont utilisées ou les nouvelles données intégrées avec effet rétroactif. Il peut donc arriver que les différences varient fortement selon le type de média ou au total. Deux exemples : après l’intégration des suppléments dans la statistique, MF « a corrigé » le total des recettes publicitaires brutes pour l’année 2011… en y ajoutant CHF 255 millions. Par contre, la SPN a revu à la baisse les recettes de la publicité extérieure, et, ces trois dernières années, les quelque CHF 600 millions annuellement pris en compte au départ ont presque diminué de moitié parce que certaines sources des ventes communiquées n’étaient plus disponibles. Résultat : il vaut mieux s’en tenir à la version la plus actuelle des statistiques, les anciennes éditions risquant d’être dépassées.
Quel est l’intérêt de ces deux études ?
« Les statistiques de Media Focus sont surtout utilisées pour observer la concurrence », déclarent à l’unisson Roland Ehrler, directeur de l’Association suisse des annonceurs et Urs Schneider, propriétaire de l’agence médias MediaSchneider. Et les deux hommes sont aussi du même avis pour la SPN : ils la consultent surtout « pour suivre l’évolution des divers types de médias et illustrer ainsi ce que l’on appelle l’écart brut/net. » Qui résulte de la comparaison entre les deux statistiques : elle met en évidence que pour l’affichage par exemple, la différence entre la pression publicitaire brute (MF) et les dépenses publicitaires nettes (SPN) est passée de 14% en 2011 à 24% en 2014. Autrement dit, les afficheurs sont toujours plus enclins à baisser le prix de leurs espaces, avec une augmentation du nombre de promotions, diffusions gratuites et espaces gratuits à la clé. Évolution similaire dans la presse (2011 : 20%; 2014 : 33%). La situation est différente côté télévision où l’écart est beaucoup moins prononcé, bien que la différence y soit déjà de 52%. Autrement dit, plus de la moitié de tous les spots télévisés ne sont pas facturés.
Toutefois Rolf Blum n’apprécie guère que l’on compare ainsi les deux statistiques. « Le fait que le choix de supports publicitaires dans les divers groupes médias ne soit pas identique donne matière à réflexion », déclare-t-il. Pour la télévision par exemple, MF prend en compte 30 chaînes mais la SPN 42. Les différences sont aussi assez fortes dans la presse, MF ne comptant pas (contrairement à la SPN) les annonces sous rubriques, par exemple. Par contre, les conditions sont vraiment comparables pour cinéma, affichage et écrans publicitaires, estime M. Blum.
Jens Windel refuse même catégoriquement de telles comparaisons car « il ne faut pas mélanger les serviettes et les torchons : cela ne fait qu’embrouiller les choses et fausse les interprétations. »
Une chose courante dans la filière
Autant d’objections n’intéressent pas Roland Ehrler : « Il vaut mieux une comparaison boiteuse que pas de comparaison du tout. Je sais qu’une interprétation de l’écart brut/net n’est jamais exacte. Mais elle peut tout à fait servir de repère », ajoute-t-il. Et Urs Schneider d’approuver : « J’effectue quand même la comparaison. L’écart brut/net est ce qui m’intéresse le plus dans les deux statistiques. De toute façon, tout le monde le fait dans notre branche ! » Par exemple Markus Ehrler, CEO de l’APG : lors de la conférence de presse consacrée au bilan 2015 de l’APG, il a présenté un diagramme illustrant l’évolution de l’écart brut/net – en s’appuyant sur les chiffres fournis par les deux statistiques.
Comment calculer la valeur d’une campagne publicitaire
Brut-brut 1) : tarif officiel pour une publication, hors déduction espaces gratuits, remises sur volume/combinaisons, promotions, PCA, CC.
Montant brut facturé 2) : déduction des espaces gratuits.
Net-client 3) : recettes publicitaires après déduction espaces gratuits, remises sur volumes/combinaisons et promotions mais sans déduction de PCA, CC.
Net-net 4) : recettes publicitaires réelles, après déduction de PCA et CC.
1) valable pour MF pour tous les types de médias, sauf en ligne
2) valable pour MF uniquement pour secteur en ligne
3) valable pour SPN pour tous les types de médias
4) inexistant dans les deux statistiques
GRAPHIQUE
L’écart brut/net s’agrandit : voici le diagramme présenté par Markus Ehrler, CEO d’APG, pour illustrer l’écart croissant entre la valeur de la publicité publiée et ce qu’elle a coûté – à partir d’une simple comparaison des chiffres MF et SPN entre 2011 et 2014.
(faudra mettre le diagramme…)